LES DROGUES EN SOI
Regards croisés sur les manières de faire face à la toxicodépendance
À l’heure où les critères de sortie de la toxicodépendance font débat chez les épidémiologistes, les frontières entre ce qui est une drogue et ce qui est un médicament psychotrope sont de plus en plus floues. Si bien qu’une réflexion sur les expériences vécues de la toxicodépendance, ses épreuves et les types de résistances qu’elles engagent – résistance aux produits, mais aussi à l’idée de la cure – nous semble incontournable pour (re)poser et sans doute réévaluer le problème des sorties de toxicomanie. Un problème qui s’est du reste complexifié au fur et à mesure de sa médicalisation. En effet, les prescriptions de médicaments substitutifs et leurs effets psychotropes ne viennent-ils pas en quelque sorte troubler le sens d’une sortie de la toxicodépendance en maintenant les usagers sous l’emprise d’un produit ? Long et sinueux, leurs parcours de rétablissement se constituent dès lors en un chemin d’expériences pavé de victoires et de souffrances, de rechutes et de cahots, un chemin où la question de la « sortie » reste une visée bien difficile à atteindre. Cette question se dilue par ailleurs dans moult considérations à la fois morales et médicales sur les différents types d’usages (mesurés, modérés et autocontrôlés) des psychotropes de substitution. Autant d’usages « maîtrisés » et parfois médicalement accompagnés de produits pharmaceutiques, qui sont censés permettre de mener une vie ordinaire, mais en éloignant la perspective d’une complète sortie de la drogue.
Ce sont ces pratiques, les discours qui les accompagnent et leur donnent sens que
nous voudrions prendre au sérieux, non pas pour évaluer les manières de sortir de la drogue, mais plutôt pour penser les façons de s’extirper de son emprise aliénante afin de (re)trouver un mieux-être (avec ou sans les produits). En effet, plutôt que d’envisager comme horizon normatif une théorie générale de la sortie de toxicodépendance qui se limiterait au seul fait de renoncer définitivement à la drogue, ne faut-il pas aujourd’hui penser l’ensemble de ces actions, de ces liens, de ces engagements, de ces discours, de ces espoirs, de ces croyances qui permettent pour certains de cadrer leur consommation, ou pour d’autres de gérer leur abstinence ? Quels rôles tiennent, dans ces parcours de (re)prise en main de soi, les proches, les perspectives professionnelles, les relations affectives, la vie sexuelle, émotionnelle, spirituelle et le regard que l’usager porte sur lui-même ?
Cette journée d’étude – inscrite dans le cadre du programme ANR SOCIORESIST
sur les dispositifs de résistance ordinaire aux dominations – tentera donc d’apporter un éclairage sur les manières de composer avec la toxicodépendance : quel chemin, quelles ressources, quels (auto)contrôles sont mis en place par les usagers eux-mêmes, et quels sens donnent-ils à ces formes de cadrage ? De ce tour d’horizon mobilisant à la fois le regard de sociologues, d’anthropologues, de professionnels de la santé mentale mais aussi de consommateurs ou d’ex-consommateurs, il ressortira une mise en lumière des différentes manières de vivre avec les drogues. Encore une fois, ces manières seront bien plus pensées qu’évaluées. C’est dire qu’en-deçà de tout regard normatif, nous privilégierons une approche à la fois descriptive et réflexive ; une approche qui entend se situer au plan de la pratique et souhaite donc montrer concrètement comment l’on fait face à la drogue au quotidien et comment l’on parvient à s’affranchir de son emprise, ou à composer avec elle.
Direction scientifique
Fabrice Fernandez : fabrice.fernandez@ish-lyon.cnrs.fr
Jérôme Beauchez : jerome.beauchez@ish-lyon.cnrs.fr
Programme ANR Socioresist : http://resistance.hypotheses.org/