Colloque dans le cadre des Vingt-cinquièmes Entretiens Jacques-Cartier, Saint-Etienne, 19 et 20 novembre 2012
Problématique générale du colloque
L’ampleur de l’institution patrimoniale française, ainsi que l’abondance et le caractère pionnier de l’historiographie du patrimoine en France, ont longtemps masqué un phénomène de plus en plus patent : la pensée du patrimoine, c’est-à-dire les façons dont on le conçoit, les notions que l’idée recoupe, le sens qu’il prend et les objets qu’il désigne diffère considérablement selon le lieu, le temps et l’univers linguistique dans lequel elle prend forme.
Le déploiement de l’action patrimoniale de l’UNESCO depuis l’adoption de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, naturel et culturel a, certes, balisé une conscience nouvelle du patrimoine qui accorde aux disparités régionales une apparence de légitimité qui naguère ne s’accordaient guère avec le concept et les pratiques du monument historique : ainsi est apparu, dans les dernières décennies du XXe siècle, le « patrimoine culturel immatériel » initialement dévolu à intégrer dans le giron du patrimoine mondial ce qui, au départ, semblait caractériser une pensée du patrimoine, notamment en Afrique et en Asie, qui ne s’exprimait pas comme telle.
Mais les distinctions binaires que nous mobilisons souvent malgré nous quand nous évoquons le patrimoine (Nord/Sud, tangible/intangible, matériel/immatériel, culturel/naturel etc…), l’expansion formidable du patrimoine (le mot ou la chose) et son apparition polymorphe dans des milieux de plus en plus divers trahissent un décalage aujourd’hui croissant entre les dénotations et les connotations du patrimoine (heritage, Erbe, herencia, etc.) d’une part, et les tentatives de mettre en place des instruments normatifs qui cadreraient l’étude, la gestion, voire la protection de ces manifestations. « Patrimoine », « Heritage », « Patrimoni », « Thurat » et autres mots couramment utilisés dans leurs langues d’origine pour désigner des biens du passé, de toute nature, qu’on souhaite conserver/sauvegarde/transmettre sont loin d’épuiser le champ sémantique de ce qu’ils sont sensés désigner. Les chercheurs le savent bien qui peinent souvent à traduire – ne serait-ce qu’en anglais, le concept de patrimoine ou le processus de patrimonialisation. S’ajoutent un nombre croissant d’études menées à l’enseigne postcoloniale qui révèlent, ici en Algérie, là au Vietnam, là encore en Indonésie, la coexistence plus ou moins artificielle de registres patrimoniaux qui s’accommodent plus ou moins aisément du « culte chrétien de la trace » laissé par les anciens colonisateurs.
C’est dire l’inadéquation de l’expérience institutionnelle du patrimoine et de ses praxéologies aux conceptions patrimoniales variées et recrudescentes. De surcroît, l’accroissement de la mobilité et la multiplication des contextes culturels interrogent les grands récits nationaux et les territoires géographiques qui ordonnaient des définitions et des pratiques institutionnelles ou savantes du patrimoine : particulièrement en milieu urbain, cette recomposition des univers de référence identitaire dans l’atomisation des groupes sociaux et des voisinages se traduit par des chocs de plus en plus fréquents entre le patrimoine des uns et le patrimoine des autres qui non seulement invalide le principe d’une « institution patrimoniale » mais, en l’absence de canaux d’échange ou de partage, met en péril la survie même des objets, édifices, pratiques et représentations patrimonialisées.
La problématique générale du patrimoine dans laquelle s’inscrit ce colloque est à double détente : elle touche au domaine du savoir, en appelant par exemple à de nouvelles histoires ou épistémologies du patrimoine et à l’exploration des spécificités territoriales de la conception ; mais elle interpelle dans le même mouvement le gouvernement des patrimoines, qu’il soit celui des États, de l’économie, des organisations locales ou internationales. Le patrimoine est toujours une mise en visibilité – ou une mise en invisibilité – et à ce titre il prend place dans le politique.
Attendu des propositions d’intervention
Trois objectifs motivent cette exploration : dresser un bilan historiographique qui favorisera le redéploiement des études scientifiques, mettre en commun les problématiques en mutualisant des bases lexicographiques et conceptuelles et, sur ces bases, susciter la création d’une communauté de pratique apte à accompagner dans ses divers milieux d’expression le vouloir patrimonial contemporain. Les interventions attendues pourront répondre à l’un ou à plusieurs de ces objectifs. Elles pourront traiter de tout domaine dans lequel se développent des actions patrimoniales : tourisme, muséographie, développement local, création artistique, marketing, mobilisations citoyennes, etc.
Le colloque privilégiera des approches comparatistes et l’analyse de tensions entre des conceptions patrimoniales dans des contextes territoriaux ou culturels. Quatre grands thèmes repartiront les discussions :
– les différenciations linguistiques des conceptions patrimoniales ;
– les discordances entre des conceptions du patrimoine et des modes de gestion patrimoniale dans un milieu ;
– la transformation de la notion et des objets de patrimoine sur un territoire ou au sein d’une communauté ;
– la perméabilité ou l’imperméabilité des conceptions du patrimoine entretenues par des communautés culturelles en milieu urbain.
Les propositions devront faire entre 100 et 200 mots, non compris le titre ainsi que les noms et qualités des contributeurs. Elles devront parvenir à l’adresse conceptionsdupatrimoine@gmail.com avant le 15 avril, délai de rigueur.
Organisation
Une initiative de :
– Centre Max Weber, Université Jean-Monnet Saint-Étienne
– Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain, Université du Québec à Montréal
– Avec la collaboration du Groupe PARVI, du Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine, de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, du Centre Jacques Cartier.
Secrétariat :
Sarah Rojon, Centre Max Weber (Sarah.Rojon@univ-st-etienne.fr)
Comité scientifique :
– Lucie K. Morisset, professeure titulaire, Département d’études urbaines et touristiques, UQAM
– Michel Rautenberg, professeur des Universités, UFR des sciences humaines et sociales, Université Jean-Monnet Saint-Étienne
– Iñaki Arrieta Urtizberea, Université du Pays Basque, Faculté de la Philosophie et des Sciences de l’Éducation, Département de Philosophie des Valeurs et d’Anthropologie Sociale
– Saskia Cousin, maître de conférences à l’université Paris 1. Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme
– Martin Drouin, professeur, Département d’études urbaines et touristiques, UQAM
– Luc Noppen, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain–ESG, UQAM