Migrant-e-s par le mariage : Enjeux et perspectives genre et sexualité dans les logiques migratoires

Lyon – 15-16 octobre 2015

Pour de nombreux-ses migrant-e-s, le mariage constitue l’un des moyens les plus accessibles pour contourner les dispositifs contraignant l’immigration, en particulier dans les circulations Sud/Nord et Est/Ouest. Néanmoins ce type de migrations reste, dans le milieu scientifique français, un champ de recherche peu investi. L’Insee constate pourtant que 72 % des admissions au séjour le sont pour motif familial et, parmi ces migrant-e-s, 74 % rejoignent en 2010 leur conjoint de nationalité française (Insee, 2012:142).

Les migrations qui s’appuient sur des liens affectifs internationaux constituent donc une partie importante des migrations internationales. Elles sont toutefois de plus en plus contrôlées et parfois stigmatisées lorsque ces migrations sont rassemblées sous les catégories de mariages « blanc » » ou « gris » ou encore associées à la prostitution. Un discours politique, élaboré depuis les années 2000, dans une logique de gestion du risque migratoire, place ainsi les couples mixtes sous haute surveillance (D’aoust, 2012).

Les nombreuses études sur les migrantes domestiques, du care, ou encore les travailleuses du sexe ont permis l’émergence de concepts tels que la « maternité transnationale », les « familles » ou « foyers transnationaux ». Pourtant, le champ de recherche constitué, au croisement du genre et de la migration, ignore encore largement la figure des migrant-e-s par le mariage.

Les acteurs de ces migrations par le mariage participent néanmoins d’une « géographie matrimoniale genrée » (Constable, 2003). Nous assistons, en effet, au développement d’un « web matrimonial des migrants » opérant une véritable « distribution internationale du genre » (Diminescu & al., 2006). Un phénomène qui est notamment visible dans les statistiques sur les couples mixtes en France (Ined, 2012). Que les couples franco-étrangers soient le résultat de logiques endogames (Collet & Regnard, 2011) ou exogames, ils se situent au croisement d’intérêts matrimoniaux et de migrations, ainsi qu’à l’intersection de multiples rapports de pouvoir.

Dès lors, il est possible de questionner les différentes facettes de la migration par le mariage. Qui sont les acteurs de ces rencontres qui ont lieu sur la scène internationale ? Quels sont les moyens de rencontre qui rendent possible ces unions ? Quels ressorts permettent l’existence de ce nouveau marché matrimonial globalisé et genré ? Les rapports de domination ne sont pas étrangers à l’espace transnational des relations intimes et les mariages qui en découlent nous invitent à une approche intersectionnelle de ce phénomène. Au-delà de seules dynamiques genrées, entrent également en jeu des rapports sociaux multiples de classe, de race et de nationalité, mais encore d’âge, de beauté, etc. Comment alors articuler ces différents rapports de pouvoir au cœur de ces relations affectives ?

Si les migrations par le mariage ont été avant tout explorées par la recherche anglophone (Constable, 2003, 2006, 2009 ; Johnson, 2007 ; Patico, 2009 ; Heyse, 2009 ; Niedomysl, 2010 ; Williams, 2010 ; Levchenko&Solheim, 2013), elles restent toutefois insuffisamment analysées sous l’angle de la « marchandisation des relations intimes » (Constable, 2009) ou de l’« échange économico-sexuel » (Tabet, 2004). Il s’agit d’envisager cet objet d’étude au croisement de relations intimes et affectives, de stratégies matrimoniales et de parcours migratoires (Ricordeau, 2012) pour mettre en lumière à la fois les stratégies des acteurs, penser la multiplicité des rapports de force (Foucault, 1976) et analyser les échanges et les buts poursuivis.

Plusieurs recherches pionnières ont notamment fait ressortir des logiques d’émancipation dans la recherche d’autres rapports sociaux de sexe que ceux existant dans les pays d’origine (Draelants & Sah, 2003 ; Riano & Baghdadi, 2007 ; Ricordeau, 2012), soulignant ainsi la capacité d’action (agency) de ces femmes. Ces travaux ont également participé à la réfutation des discours orientalistes et sexistes symbolisés par l’expression « épouses par correspondance » (mail order brides) (Zare & Mendoza, 2011).
Enfin, l’introduction salutaire des femmes dans le champ des migrations (Morokvasic, 1984) a permis de penser le genre dans la migration, même s’il reste à s’intéresser aux hommes présents dans des domaines considérés comme « traditionnellement » féminins (Catarino, 2013). Niedomysl (2010) a souligné cette absence, dans la littérature, des hommes engagés dans des mariages mixtes transnationaux, alors même qu’ils sont largement plus représentés que les femmes en Suède. Même si, en France, les femmes restent majoritaires dans les flux de migration par le mariage, l’étude des hommes engagés dans ces nouvelles stratégies matrimoniales et migratoires globalisées enrichirait le champ de recherche sur les migrations familiales, tout en questionnant la dichotomie homme/production, femme/reproduction.

Ces deux journées suggèrent d’investiguer les dynamiques de genre à l’œuvre dans les rencontres internationales et les migrations par le mariage sous l’angle des rapports sociaux favorisant ces « transactions intimes » internationales dans lesquelles, l’amour et l’argent, sont finalement loin d’être « antagonistes » (Zelizer, 2005). Trois domaines seront abordés en particulier :

1. Échanges, transactions intimes et rapport de pouvoir
Pour penser la multiplicité des lieux de pouvoir, les communications pourront porter sur les dimensions de l’échange dans ces relations intimes internationales et l’imbrication des rapports de domination. Les migrations par le mariage dessinent en creux un rapport entre la sphère publique et la sphère privée qui ne peut dissocier les rapports de pouvoirs sexués et sexuels. L’enjeu est sans doute alors d’articuler le politique et le sexuel et de montrer comment « un mode d’action agit sur des actions » (Foucault, 1994). Les migrations par le mariage semblent ainsi aujourd’hui porter en elles tout un questionnement sur les formes « modernes » de la domination.

2. Stéréotypes de genre, naturalisation et racialisation
L’analyse des rapports de pouvoir nécessite un intérêt particulier pour les micro-logiques. Ainsi, les discours politiques qui s’immiscent dans le sens commun sont une piste pour penser la stigmatisation des migrant-e-s par le mariage et les représentations qui s’en dégagent. Que ce soit dans la consubstantialité ou la coextensivité de rapports sociaux, la ligne de tension homme/femme reste souvent « inentamée » (Kergoat, 2009). Ainsi, l’étude des stéréotypes de genre peut permettre la mise en évidence des processus de naturalisation et de racialisation qui participent de la production de normes genrées.

3. Stratégies, capacité d’action et pratiques
Acteurs et actrices des flux migratoires et processus transnationaux ne peuvent être pensés sans restituer les modes de subjectivation politiques. En articulant la puissance d’agir au poids des contraintes structurelles, il nous semble pertinent de montrer les bouleversements, les transformations et les multiples formes de l’intime produit dans un contexte néolibéral.

Cette journée est suivie le 16 Octobre par des Ateliers et une table ronde organisés par le Réseau Migrations autour des questions de genre et de sexualité dans les logiques migratoires.

Publié le 15 octobre 2015