Séminaire équipe 4, vendredi 8 février 9h-16h - Salle D1.2.6

Tisser les fils d’une ethnographie dispersée

Depuis les prémisses de la sociologie, le rapport individu/société a fait l’objet de controverses et il continue d’être discuté. C’est notamment par la remise en question de la place des institutions (école, famille, Eglise, Etat, etc.) et par « la formation d’une singularité sociétale, [un] processus de singularisation à l’œuvre au niveau des structures économiques, de l’organisation politique ou du droit, au plan des relations aux autres ou à l’histoire, des aspirations personnelles ou des contraintes urbaines » (Martuccelli, 2006) amenés par la modernité, que l’individu devient une question centrale de la sociologie. Ces mutations sociétales sont ainsi indissociables de la transformation de la sociologie et de ses objets. Aujourd’hui, les individus se définissent par rapport aux différents domaines de la vie personnelle. De ce fait, en ne décrivant plus les agents sociaux à partir d’une seule appartenance (sexe, classe, génération, etc.) mais en prenant en compte la multiplicité des cadres de référence au sein de nos sociétés urbaines et mondialisées, l’analyse se complexifie. « Il y a une pluralité et une coexistence des lexiques dans un même homme », écrit Roland Barthes (Barthes, 1964). L’homme est reconnu comme un être « pluriel », et ce fait a des incidences sur « les ressorts de son action » (Lahire, 1998). Dès lors comment concevoir les différents attachements des individus ? Quelles sont les trajectoires des personnes, leurs circulations dans l’organisation sociale, leur carrière (Becker, 1985 ;1988) ? Comment s’opèrent les branchements des uns et des autres (Amselle, 2001) et selon quelle symétrie ou asymétrie chacun compose sa partition (Hannerz, 2010) ? Porter notre attention sur la complexification des systèmes de réseaux génère ainsi des questions sur les formes collectives et leurs dynamiques et nous incite à renouveler nos approches de la fabrication du commun. Ce qui nous relie (Micoud, Peroni, 2000) est au cœur de notre questionnement.
De toute évidence, il n’est pas question d’avancer que les institutions ont disparu mais il s’agit de comprendre à partir d’ethnographies multiples comment les acteurs s’y prennent pour définir et maîtriser les dimensions de la vie quotidienne, comment ils les vivent, comme des contraintes ou comme des occasions de liberté (Cefaï, 2010). C’est par l’utilisation et l’agencement de différentes méthodes d’enquête ethnographique, telles que l’observation (flottante, directe, participante), l’entretien (semi-directif, libre) ou encore l’analyse de documents et l’étude de contextes, qu’il est possible de saisir au plus près la réalité vécue. Les différentes « situations ethnographiques » (Cefaï, 2010) nous renseignent alors sur les comportements en situation, le sens des pratiques, mais également sur l’épaisseur historique des cadres sociaux. La multiplicité des configurations dans lesquelles les individus sont inscrits socialement nous invite parfois à une ethnographie dispersée – « observation dispersée » (Pichon, 2010 : 19) – qui se pratique dans une pluralité d’espaces plus ou moins connectés entre eux. Ainsi cette dispersion participe à la construction du terrain et à la délimitation de l’objet d’étude. Elle permet d’appréhender la complexité de la construction sociale de la réalité (Berger, Luckman, 1986) et autorise une lecture critique des paradigmes sociologiques (Latour, 1997), notamment par la possibilité d’une « déambulation » entre les disciplines des sciences sociales (Herreros, 2008).
Cette séance de séminaire de l’équipe 4 organisée par les doctorant(e)s, a pour objectif de montrer en quoi l’ethnographie n’est pas seulement une méthode mais bel et bien une démarche de recherche singulière. Il s’agira de tracer un lien entre les différents travaux de recherche pour donner à voir qu’il n’y a « pas une et une seule bonne manière de faire de l’ethnographie » (Cefaï, 2011 : 550).

Programme de la journée - Salle D1.2.6

9h-9h30 : Accueil

9h30-10h00 : Marine Maurin (Doctorante en sociologie, Centre Max Weber), « Les femmes sans domicile : entre la rue et l’assistance »

Cette communication aura pour objectif de voir comment il est possible de saisir les expériences des femmes sans domicile dont les parcours biographiques et urbains se situent entre la rue et les services d’assistance. C’est par la démarche ethnographique multi-située (Marcus, 1995) que l’on appréhendera comment ces femmes sont aux prises d’un maillage assistanciel plus ou moins institutionnel et quels sont les types de relations qu’elles y entretiennent pour devenir sujet d’une prise en charge.

10h00-10h30 : Sarah Rojon (Doctorante en anthropologie, Centre Max Weber), « En suivant les images… »

La circulation d’images au sein de la ville post-industrielle sera abordée par l’étude de différents contextes d’énonciation et d’action. En quoi des symboles iconiques qui semblent faire autorité, autrement dit des canons, produisent-ils une pluralité de rapports au passé ? Comment les acteurs s’en saisissent-ils et les transforment-ils ? En fonction de quels cadres de référence ces figures hégémoniques sont-elles interprétées ? Un tel objet de recherche conduit l’ethnologue à se déplacer d’un milieu à un autre et à constituer un terrain disparate aux frontières incertaines.

10h30-11h00 : Anne Aubry (Doctorante en sociologie, Centre Max Weber), « Entre la démarche ethnographique et la recherche-action : trouver une posture »

A l’aune de 50 années d’activités, le CCO se lance dans une recherche-action dont l’objet est un travail autour des dynamiques de l’interculturalité. Dans ce cadre, cette structure culturelle cherche à élaborer une patrimonialisation de ces pratiques interculturelles. Cette communication tentera de montrer comment le chercheur s’inscrit et définit un cadre de recherche au sein d’une structure culturelle qui se lance dans une recherche-action. Dans quelles mesures le chercheur peut-il prendre place dans ce processus ? Quelle peut-être sa posture ?

11h00-11h30 : Sandra Coullenot (Doctorante en anthropologie, Centre Max Weber), « Pour une nouvelle approche de l’habitat traditionnel islandais »

Les torfbærinn (mot islandais pour désigner le complexe fermier en tourbe) ont commencé à être érigés en Islande dès la colonisation de l’île en 874. Ce mode de construction – qui a perduré jusqu’à la première moitié du XXième mais avec un plan plus complexe – a souvent été interprété comme étant le témoin de l’existence des héros des Sagas islandaises (Friðriksson, 1994). Or depuis quelques années les spécialistes (archéologues, architectes, turf masters) tâchent de mettre en avant les aspects constructifs et gestuels de ces bâtiments mis en oeuvre par des habitants ordinaires (Vesteinsson, 2002 ; Ágústsson, 2004). L’objet de cette recherche a pour objectif l’appréhension de ce bâti rural non pérenne et si intimement lié à son environnement à travers une observation ethnographique des récentes données de terrain (fouilles archéologiques, photographies, restitutions physiques et virtuelles, témoignages oraux etc...) et à travers des échanges avec les spécialistes et les islandais vivant de / avec ce patrimoine culturel.

11h30-12h00 : Discussion générale sur les problématiques soulevées dans la matinée

12h00-14h00 : Déjeuner

14h00-16h00 : Discussions et réflexions autour de la question ethnographique avec Elodie Jouve et Jérôme Beauchez, chercheurs membres de l’équipe 4 du Centre Max Weber.

Équipes concernées : Cultures publiques

Publié le 31 janvier 2013