Séminaire doctoral : « Mobilité sociale et éclectisme », par Philippe Coulangeon

Date :Lundi 21 mai 2012 de 10h00 à 13h00
Lieu :Salle Marc Bloch, Institut des Sciences de l'Homme

Séminaire doctoral du Centre Max Weber

Mobilité sociale et éclectisme. Un autre regard sur la genèse des goûts et des attitudes culturelles par Philippe Coulangeon, directeur de recherche CNRS OSC/Science po.

La sociologie des goûts et des pratiques culturelles s’appuie
généralement et prioritairement sur l’observation des variations
d’attitudes observées selon les classes sociales. Le genre, l’âge et
la génération figurent aussi au nombre des caractéristiques
mobilisées dans l’analyse de la genèse des goûts et des pratiques. La
prise en compte de cette pluralité d’arènes de socialisation
culturelle soulève plus largement la question des effets de
trajectoire biographique, que le croisement des caractéristiques
sociodémographiques et des indicateurs de goûts et de pratiques
culturelles opéré sur des données d’enquête le plus souvent
transversale ne permet pas toujours d’appréhender correctement. Faute de données longitudinales – assez rarement disponibles sur ces
questions dans les enquêtes statistiques menées sur des échantillons
de population de grande taille -, les possibilités de mesure
empirique de ces effets de trajectoire sont inévitablement limitées.
Lorsque les enquêtes renseignent simultanément les propriétés
sociales des personnes interrogées et celles de leurs ascendants
directs, il est toutefois possible d’en mesurer rétrospectivement un
aspect, à travers l’enregistrement des trajectoires de mobilité
sociale entre générations.

Dans cette communication, nous présenterons les résultats d’un
travail en cours sur les données de l’enquête sur les pratiques
culturelles des français de 2008 dans lequel nous faisons usage d’un
catégorie particulière de modèles statistiques, appelés « modèles à
référence diagonale », qui permettent de saisir plus adéquatement que
ne le font les méthodes ordinaires d’analyse multivariée les effets
des trajectoires de mobilité, quelle qu’en soit l’orientation
(ascendante ou descendante). Centrée sur l’exemple des répertoires
d’écoute musicale, l’analyse fait ressortir un double résultat, qui
éclaire d’un jour nouveau l’hypothèse d’émergence d’une nouvelle
norme de légitimité culturelle fondée sur la valorisation de
l’éclectisme des répertoires davantage que sur la proximité exclusive
de l’univers des répertoires savants. En premier lieu, une typologie
empirique des attitudes menées à partir d’une analyse en classes
latentes des genres musicaux cités par les répondants de l’enquête,
suggère un profil d’attitude nettement majoritaire, centré sur
l’écoute quasi-exclusive de musique de variété, dont se distinguent
deux profils minoritaires, l’un, regroupant environ un quart des
répondants caractérisé par un attrait spécifique pour les répertoires
savants (musique classique, opéré et jazz) et l’autre, moins fréquent
(environ 10% des répondants), caractérisé par la variété et
l’éclectisme des genres écoutés. Ces deux derniers profils, nettement
surreprésentés l’un et l’autre au sein des répondants appartenant aux
classes supérieures, se distinguent à leur tour par leur sensibilité
aux effets de trajectoires. Globalement, alors que les trajectoires
de mobilité ascendante accroissent fortement la probabilité du
deuxième profil, les « forces de rappel » de l’origine sociale
limitent beaucoup plus nettement la probabilité du troisième, qui
semble ainsi en quelque sorte nettement moins accessible à la « bonne
volonté culturelle » des « transfuges de classe ».

Contact : Rémi Deslyper

Publié le 7 mai 2012